Conversations excentrées, Orléans Montargis 2021/2022

J’ai demandé à Gérard Parésys et Thomas Chrétien d’écrire un texte sur notre travail pour le projet Conversations excentrées. Les voici et je les en remercie.

En juin 2020 Guy me dit: « Après les hauteurs d’eau: les piles de livres… »
Les hauteurs d’eau c’était l’ autoportrait collectif « Trop près du Loing » : des dizaines de voix nous racontaient la crue de 2016. Le travail sur le son de ces voix m’avait passionné: les projeter dans l’espace, les entremêler… Quelle musique !
Les 10 « totems » des conversations excentrées me rappellent les limnimètres : ces règles verticales qui mesurent la hauteur d’eau le long des rivières, sur les ponts, les barrages… Mais les « totems » ne mesurent rien, ils parlent et ils montrent.
Les « totems » nous font entendre 58 conversations « libres », nous font voir 180 images des 12 lieux d’enregistrement.
Guy et Thomas Chrétien ont collecté toutes ces conversations cet été dans la « capsule ».
J’ai fabriqué le logiciel qui fonctionne dans le petit ordinateur contenu dans chacun des 10 totems des Conversations excentrées. Donc 10 logiciels tournent en même temps.
Le son de chacune des conversations est bien complexe : il y a 1,2 .. jusqu’à 5 locuteurs qui parlent, parfois en même temps ! Le pari de cette installation est de restituer ces conversations en distribuant les locuteurs : un par totem. La restitution doit être claire, évidente : le visiteur qui se promène dans l’installation doit avoir l’illusion d’entendre une discussion…
La synchronisation, le choix des conversations, des locuteurs, des totems, des images sont contrôlés par l’un des totems.
Et puis il y a le moment « excentrique » des Conversations excentrées : après 15 minutes de discussions polies, les 10 totems parlent tous : chacun émettant une bribe d’une des conversations tirée au hasard, ça s ‘accélère de plus en plus, ça se superpose, ils parlent tous en même temps, on ne peut plus comprendre que les rares mots qui émergent de cette crue. Et tout s’arrête. Silence. Et les discussions peuvent reprendre dans le calme. J’espère que ce climax de matière sonore pourra être perçu comme musical !
Le logiciel de chaque totem contrôle aussi les images et leur décomposition/recomposition au niveau du pixel. En regardant soigneusement on voit que la direction du mouvement des pixels (comme du sable agité) change avec le locuteur.
Le son est dans l’image et l’image est dans le son.

Gérard Parésys

Les Conversations excentrées ont été pour moi l’occasion d’une première vraie collaboration avec Guykayser. J’ai en effet eu la chance de travailler avec lui depuis les étapes fondatrices au cours desquelles il a imaginé ce dispositif artistique jusqu’au montage de l’exposition finale, en passant par les collectes sonores.
Pour les premières étapes, j’ai pu me faire en partie le relai d’Olivier Baude dans la discussion entre arts et sciences. Il s’agissait d’imbriquer l’intérêt de la constitution d’un portrait sonore pour la recherche en linguistique avec la vision artistique de Guy. Cela s’est rapidement matérialisé par des échanges avec les partenaires, au premier chef desquels les réseaux des médiathèques d’Orléans et du Montargois. Du grain à moudre de mon côté concernant la recherche contributive, thème qui m’intéresse particulièrement dans mon travail de thèse. Dossiers à présenter aux financeurs et autres calendriers prévisionnels « légèrement » impactés par les confinements successifs : voilà pour l’envers du décor…
La phase de collecte au printemps et à l’été nous a permis de réunir le matériau sonore que Guy a ensuite traité avec Gérard Parésys pour donner naissance à l’exposition. Mais il s’agissait aussi pour nous, sur l’ensemble d’un projet, de tester le protocole d’écoute, d’enregistrement et de gestion des données et des métadonnées du Laboratoire mobile des langues.
Enfin, le montage de l’exposition a été pour moi l’occasion d’appréhender encore un peu mieux de l’intérieur le travail de Guy et Gérard. Et comme pour les collectes sonores, me rendre compte que porter un projet longuement mûri au devant du public apporte une réelle satisfaction.

Thomas Chrétien