2002, Conviviales de Nannay
Entre 2000 et 2011, chacun de mes autoportraits collectifs comportait un site audiovisuel interactif en ligne, réalisée avec le logiciel flash … 2020 c’est la mort définitive de cette technologie sur le web. Voici donc la version vidéo.
Avec cette troisième intervention tout en dessinant l’image d’une collectivité humaine et d’un territoire, il s’agit avant tout d’aller à la rencontre des habitants d’un lieu et par leurs histoires et leurs paysages, parler des humains aux humains en essayant de découvrir l’universel dans le particulier… tout en partageant dans la bonne humeur des nourritures moins spirituelles.
S. Coumoul, Cahiers du cinéma Octobre 2002
Appelons cela une ambiance, un écart, une couleur, un timbre. Le sentiment que quelque chose se creuse quand même le mystère s’épaissit. L’artiste sans prénom Guykayser (on sait par contre qu’il mesure 1,86 mètre et fréquente Chalette sur loing, 45120) est parvenu à courber un morceau d’espace-temps dans la réalité de Nannay (Nièvre), après avoir moins bien vu Tresnay et Nevers. La chance veut que ce progrès-en bref : du concept vers son exécution-corresponde au passage de la simple installation plastique à un véritable documentaire multimédia, avec procédés de montage et quelques images en mouvement. Bienvenue, donc.
Prélevant au coeur du Val de Bargis, un peu à la manière de Cadiot & Burger dans la vallée de la Petite Lièpvre, un échantillon des cent et un habitants, Guykayser se comporte comme un sémiologue qui, las de faire parler les signes, déciderait de n’en plus organiser que le seul épuisement. Ainsi la dame qui depuis sa fenêtre voit l’église mais plus jamais d’enterrements, à croire que “les gens se font tous incinérer, je ne sais pas”. Ou cet homme à un carrefour en forêt, comptant immanquablement douze chemins alors qu’il le sait bien il y en a treize-” J’en oublie toujours un “.
Chacun de ces “antitémoignages” se divise en quatre saynètes où Guykayser ne cesse de casser et recomposer une forme. On pourrait certes, face à la fragmentation de l’écran en plusieurs, creier au déjà-vu. Autant signaler tous les autres : introduction des personnes par le prénom, comme dans n’importe quel reportage : système de bandes passantes superposées, à la mode des habillages tv ; clichés implicites sur l’ennui-mais-aussi-les-charmes de la vie rurale ; plans rapprochés sur les mains sculptées par cinquante ans de labeur ; émotion et distance du regard “cultivé” au spectacle des siens.
Et pourtant, ça tourne. Prenez “Marcel”, dont l’épouse atteinte de sclérose en plaques vécut un calvaire de vingt-deux années. Il faut une phrase à l’homme veuf pour le dire, et cela suffit à ce que l’image initiale en couleurs cède rectangle par rectangle la place au portrait noir et blanc, figé dans la pose, d’une jeune femme d’autrefois. Présentée de surcroît floue, à l’exception des yeux, dernier rectangle apparu à l’instant où Marcel se tait : “… Il n’y avait plus que les yeux qui fonctionnaient, à la fin.” Sur l’éternel dilemme du rapport son/image – redondance ou contrepoint ? – Guykayser choisit la voie médiane de l’accompagnement. Et de préférence, à domicile. Car c’est surtout cela, Nannay ou ailleurs : des maisons, des fenêtres, des portes, et un “étranger” qui arrive, par la seule discipline, à faire se soulever un coin de rideau sur un paysage aux contours précis, rempli d’un air irisant l’épiderme au matin, qu’on respire à fond pour se persuader d’être vivant.