De l’autoportrait collectif par Olivier Baude

De l’autoportrait collectif

Comme nombre d’artistes construisant leur pensée dans les années 80-90, Guykayser s’est petit à petit convaincu que sa « vérité artistique », celle à laquelle il valait la peine de consacrer ses efforts, reposait moins sur une ennième sophistication de l’objet « tableau » que sur l’exploration des processus d’échange qui, dans le langage, constituent le réseau des relations interhumaines. Cette conviction le détourna des gestes habituels d’un milieu de l’art perçu comme élitiste pour l’orienter vers des expérimentations centrées sur les récits de locuteurs anonymes.

Encore fallait-il que leurs voix aient une occasion favorable de s’exprimer ! Dès lors se posait la question : dans quelles conditions des personnes qui n’y sont pas préparées comme sont les acteurs, les communicants ou les enseignants, pouvaient-elles « parler » leur vie et mettre en mots leurs expériences les plus intimes sans que le cadre expérimental destiné à les recueillir ne brise toute spontanéité ?

Guykayser savait que si une telle parole minoritaire parvenait à émerger, ce serait à travers des récits hésitants, des anecdotes hasardées ponctués de silences énigmatiques. Conscient de ces difficultés, il a imaginé un dispositif destiné à les contourner autant que possible, qu’il a nommé : autoportrait collectif.

Il s’agit de susciter des récits en prenant appui sur des événements ou des lieux familiers aux personnes interrogées. Guykayser crée donc des sortes de scénarios, des mises en scène ludiques fournissant un prétexte à témoignages et commentaires. Les propos recueillis forment, dans leur diversité, l’autoportrait collectif. Par exemple, il proposa au centre d’art Les Tanneries un projet intitulé « Trop près du Loing », où la population riveraine de cette rivière était invitée à « raconter » son expérience des inondations qui ont marqué la région en 2016.

Conçu comme un dispositif où se mêlent la recherche et la création artistique, l’autoportrait collectif établit une communauté éphémère et égalitaire autour de l’artiste et de ses interlocuteurs. L’artiste est à l’écoute et suscite une relation que ses aspects ludiques du dispositif concourent à fluidifier.

Parce qu’il est une polyphonie, l’autoportrait collectif, tend à fondre les récits dans une expérience commune. Cela atténue les inhibitions propres à toute prise de parole personnelle. Cet effet collectif est par ailleurs essentiel au travail de Guykayser qui vise à donner la parole à ceux qui en sont socialement écartés. Tous les projets conçus par Guykayser visent à favoriser l’expression d’une parole ou d’une expérience restée muette ou inaudible du fait des contraintes sociales pesant sur l’expression de soi et de son vécu.